Définition et caractéristiques du journal intime
Un genre hybride entre écriture ordinaire et littérature
Le journal intime désigne l’ensemble des notes personnelles qu’une personne rédige régulièrement pour consigner des événements de sa vie, ses sentiments, ses pensées ou ses impressions. C’est à la fois une pratique d’écriture ordinaire, adoptée par de nombreux anonymes, et un genre littéraire cultivé par des écrivains.
Sa caractéristique principale réside dans son rapport au temps : le journal se présente comme une suite de fragments datés, rédigés au jour le jour, qui forment cependant un tout cohérent. Les notes sont personnelles et subjectives. Elles traduisent le regard que le diariste (celui qui tient le journal) porte sur lui-même et sur le monde.
Un texte auto-destiné
Par définition, le journal intime n’est pas écrit pour être communiqué à un public. Il constitue un espace d’expression libre et secrète, où le diariste dialogue avec lui-même.
Toutefois, de nombreux journaux ont été publiés, du vivant de leur auteur ou de manière posthume. Cette diffusion pose alors la question du statut du lecteur : s’il accède au texte, c’est comme un intrus qui surprend l’intimité du diariste.
Aux origines du journal intime
La lente émergence d’une écriture de l’intime
L’apparition du journal intime, sous sa forme moderne, est indissociable du développement de l’individualisme à partir du 18e siècle. La valorisation de la subjectivité et de l’expérience personnelle dans les sociétés occidentales rend possible l’expression de l’intime.
On peut cependant trouver des préfigurations anciennes du journal, notamment dans Les Essais de Montaigne au 16e siècle, ou Les Confessions de Rousseau au 18e. Ces auteurs nourrissent leur réflexion d’anecdotes autobiographiques.
Un genre codifié à l’époque romantique
C’est véritablement avec le romantisme, à la fin du 18e siècle, que le journal devient un genre à part entière, avec des codes qu’Amiel résume ainsi en 1860 :
Effusions sans témoin, causerie sans interlocuteur, communion sans rituel ; le journal intime est une sorte de commerce que l’individu noue avec lui-même, un dialogue de l’âme avec elle-même.
De grandes figures littéraires comme Stendhal, Vigny, Michelet ou les Goncourt adoptent alors cette pratique d’écriture quotidienne. Leurs journaux sont publiés de manière posthume et remportent un franc succès, révélant leur sensibilité et leur génie créateur.
Les fonctions du journal intime
Un instrument d’introspection
Principal intérêt du journal aux yeux du diariste : il constitue un formidable outil d’introspection. En couchant régulièrement ses pensées sur le papier, celui-ci peut mieux se connaître, analyser ses émotions, clarifier ses dilemmes.
Le journal est un miroir où l’on se regarde vivre
, écrit Julien Green en 1966. Il permet de donner sens à son existence en en dressant le récit, fût-il morcelé.
Un exutoire cathartique
Épancher ses peines, exprimer ses frustrations, extérioriser ses angoisses : le journal fait office de confident idéal et permet de se libérer. En déposant le poids des émotions négatives, le diariste soulage son esprit et retrouve une sérénité.
C’est une sorte de remède innocent et sublime, explique Eugénie de Guérin à son frère Maurice. Un remède qui, selon la psychanalyse, permet de mettre à distance ses affects pour mieux les appréhender.
Un soutien dans l’adversité
De nombreux journaux témoignent de périodes troublées : guerres, deuils, maladies, persécutions… Dans ces circonstances, le journal aide à surmonter l’épreuve en fournissant un espace pour exprimer ses peurs et trouver du réconfort.
C’est flagrant chez Anne Frank, dont le Journal traduit à la fois les affres de la persécution et la volonté de résister par l’imagination. Mais aussi dans le Journal d’Hannah Cullwick, une domestique du 19e siècle qui y consigne ses conditions de travail épuisantes.
Les enjeux de la publication des journaux intimes
Une contradiction avec l’essence du journal ?
Si le journal intime n’est pas destiné à être lu, comment justifier sa publication ? Ne trahit-on pas l’intimité du diariste ? Ces questions ont longtemps embarrassé les éditeurs de journaux.
Certains auteurs comme Amiel ou Léautaud ont pourtant expressément autorisé la publication d’extraits après leur mort. D’autres, tel Benjamin Constant, pressentaient que leurs notes passionneraient le public.
On écrit toujours pour la galerie
, affirme-t-il en 1804. Preuve que le journal dialogue parfois secrètement avec un destinataire idéal… qui peut devenir réel.
Le temps comme médiateur
Si le journal s’adresse d’abord à son auteur, la publication posthume crée une distance temporelle qui rend possible l’accès du public à l’intimité de l’écrivain. Elle offre même un plaisir de lecture singulier : celui de surprendre des pensées confidentielles.
De son vivant, le diariste n’était pas prêt à se dévoiler. Sa disparition change la donne : ses écrits intimes livrent alors une vérité poignante sur sa personne. Le temps autorise cette révélation pudique de soi.
Le succès des journaux intimes auprès du public
Un formidable engouement
À partir des années 1880, les éditions de journaux intimes d’écrivains se multiplient et rencontrent un franc succès, qu’il s’agisse de Marie Bashkirtseff, Eugénie de Guérin ou Jules Renard. Le public est fasciné par l’accès à la sensibilité des artistes.
Certains journaux deviennent même de véritables best-sellers, à l’instar de celui des Goncourt dans les années 1890. La presse en fait ses choux gras, parlant des « chroniqueurs impitoyables de leur propre existence ».
Un genre démocratisé
Sous l’influence de l’école primaire, la pratique du journal personnel se répand aussi dans toutes les couches de la société à la fin du 19e siècle. Les journaux d’inconnus passionnent désormais les chercheurs pour leur valeur de témoignage.
Ainsi le Journal d’un menuisier dauphinois exhumé en 2017 livre une vision sensible de la société rurale du 19e. Preuve que ce genre littéraire autrefois élitiste s’est démocratisé, gagnant en authenticité.
Formes contemporaines du journal intime
Des journaux illustrés
Certains journaux associent texte et images : photographies chez Sophie Calle, dessins chez Hélène Hoppenot… Ces œuvres hybrides révèlent une approche plus artistique du genre. Elles témoignent aussi de l’éclatement des frontières entre écriture et arts visuels.
Des journaux en ligne
Avec Internet, le journal investit désormais la Toile. De nombreuses personnes publient leur journal intime sous forme de blogs ou sur les réseaux sociaux. Une pratique qui interroge : peut-on encore parler d’écriture de l’intime lorsque celle-ci est massivement partagée ?
Quoi qu’il en soit, le foisonnement des journaux sur Internet révèle la vivacité de ce genre protéiforme. En permettant à tout un chacun de s’adonner facilement au journal personnel, le numérique confirme sa dimension démocratique.